Le monde englouti de James Graham BALLARD s'inscrit dans sa série dite des Quatre apocalypses, qu'il écrivit au tout début de sa carrière d'écrivain, chaque roman de la tétralogie s'intéressant aux effets d'une catastrophe naturelle sur la civilisation humaine.
Dans Le monde englouti une série d'explosions solaires a ainsi augmenté la température de la Terre, et un climat tropical règne sur l'ensemble de la planète. La faune et la flore sont revenus à ce qu'elles étaient au Trias, et l'homme n'a plus beaucoup de place dans ce monde surchauffé, étouffant et envahi par les eaux. Ayant fui les grandes villes et les continents recouverts de vastes forêts infestées de reptiles et d'insectes en tous genres, et arrosés continuellement de pluies diluviennes, les hommes vivent désormais dans des bases autour des pôles. Dans ce contexte, le biologiste Robert Kerans participe à une expédition scientifique sur le site englouti d'une ancienne capitale européenne, Londres.
C'est sur cette base que BALLARD s'intéresse, non pas aux effets sensationnels qu'une telle catastrophe implique, mais à ses effets, moins impressionnants, mais tout autant dévastateurs, sur la psyché humaine. On distingue ainsi trois parties dans son récit. Dans la première, l'auteur pose le décor d'un Londres sous les eaux tropicales et nous présente les principaux protagonistes. Si une partie de ces derniers sont des militaires convaincus du caractère temporaire de leur expédition scientifique, d'autres, dont Robert Kerans, s'interrogent plus ou moins consciemment sur l'intérêt d'un retour vers la civilisation, au nord. Dans la deuxième partie du récit, la décision est prise, Kerans et deux autres membres de l'expédition restent sur place. Mais ce faisant ils sont à la merci d'une bande de mercenaires spécialisés dans le pillage des cités désertées. Car le retour en force de la nature ne concerne pas uniquement la faune et la flore, mais également les hommes dont les instincts primaires refont bien vite surface. Dès lors, la solution n'est-elle pas autre part que dans la fuite ou la passivité ? Ne vaut-il pas mieux affronter les éléments et se diriger vers le sud, quitte à remettre en cause la civilisation telle qu'elle subsiste péniblement et en fonder une nouvelle ? C'est en tout cas ce que suggère l'auteur dans la dernière partie de son roman.
Tout cela est servi par une écriture riche, mais non moins fluide, pleine de références philosophiques (freudiennes pour être précis), mais également musicales (Beethoven) et picturales (Ernst). Cela donne au roman une atmosphère très particulière où la poésie et l'imagerie mettent en exergue l'angoisse que la déliquescence de l'Humanité ne manque pas de susciter. Par moment, et en particulier dans la deuxième partie évoquée plus haut, on ne manquera pas de penser au Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Alors peu importe que le roman soit daté, et qu'on le ressente dans les technologies utilisées par les différents protagonistes, l'effet recherché par BALLARD est bel et bien là et il convie de surcroît ses lecteurs à la plus saine des réflexions.
Notons enfin que l'édition présentée ici est dotée d'une nouvelle traduction signée Michel PAGEL qui rend parfaitement hommage à la poésie de l'écriture de l'auteur. Elle comporte également une autre Apocalypse, Sécheresse, qui fera l'objet d'une autre lecture.