Holger Carlsen conduit des actions de résistance pendant la deuxième guerre mondiale au Danemark. Alors qu'il se trouve dans une situation périlleuse, il est projeté dans un univers parallèle, de type médiéval, peuplé de créatures merveilleuses et dangereuses. Là, il découvre que le Chaos s'apprête à livrer un ultime combat contre la Loi et que lui-même semble être le dernier rempart contre les forces du Mal.
Le lecteur habitué des littératures de l'imaginaire en général, de la Fantasy en particulier, pourrait être rebuté par une telle intrigue tant elle a été exploitée, avec succès ou non. Ce serait aller un peu vite avec Trois coeurs, trois lions de Poul ANDERSON, le roman étant suffisamment ancien pour être qualifié de précurseur, et l'auteur étant un formidable conteur, comme on le sait depuis longtemps.
De fait, le récit qu'ANDERSON nous propose ici utilise tous les poncifs de la Fantasy, mais il le fait avec une verve assez exceptionnelle, combinant sens de la narration, érudition, références et humour. En parcourant cet univers parallèle dans lequel il est immergé, Holger Carlsen est en effet contraint de se remémorer ses enseignements passés, littéraires ou scientifiques, afin de mieux comprendre ce qui lui arrive, et de trouver solution à son problème. C'est ainsi que les références à Charlemagne et aux chansons de geste sont innombrables, de même qu'au cycle arthurien et à l'île d'Avalon. C'est encore cet épisode où il parvient à vaincre un dragon grâce à ses connaissances en thermodynamique, ou celui dans lequel il évite les dangers inhérents aux géants grâce à ses notions de physique nucléaire.
Chaque chapitre du roman propose une aventure de ce genre, l'ensemble entraînant le lecteur dans une histoire extrêmement plaisante et drôle. Il est vrai aussi que la prose de Poul ANDERSON est de grande qualité, alliant rythme, précision et simplicité pour un résultat du plus bel effet. C'est pourquoi Trois coeurs, trois lions est un roman de référence dans le genre Fantasy, et qu'il serait dommage de passer à côté sous prétexte que sa thématique a été reprise d'innombrables fois depuis sa première parution.
Notons enfin que cette édition est titrée Trois coeurs, trois lions suivi de Deux regrets. Les deux regrets en question sont deux nouvelles qui s'inscrivent dans le même cycle informel que le roman, les Univers-Livres. L'auberge hors du temps (House Rule, 1976) avait été préalablement publiée en France en 1980 (Fiction n° 308). La ballade des perdants (Loser's Night, 1991) est inédite dans notre pays. Les deux se déroulent dans la taverne du Vieux Phénix, dans laquelle se retrouvent des personnages historiques aussi différents de caractère que d'époque. Pour autant, chacun demeure attaché à son histoire personnelle, donnant à ces deux récits une atmosphère fataliste intéressante. Les deux nouvelles démontrent une fois de plus l'érudition et la rigueur de Poul ANDERSON en matière d'Histoire ; elles constituent aussi une parfaite introduction à l'autre roman des Univers-Livres : Tempête d'une nuit d'été.