Dans un futur indéterminé, mais pas si éloigné du nôtre que cela, le monde connu est tripartite. A l'Ouest, Carthage domine de fait la Ligue pélagique, une myriade de petits royaumes qui assoient leur pouvoir sur le commerce. A l'Est, les Han sont renfermés sur eux-mêmes, protectionnistes, mais arbitrent les velléités expansionnistes des deux autres. Entre les deux, il y a enfin la Perse, dirigée par le Roi des Rois, Orode, tyran brutal pour qui seule l'expansion territoriale compte.
Car la genèse de ce monde remonte à l'Antiquité pendant laquelle Alexandre s'est certes arrêté à Acres mais n'est pas mort ni de maladie, ni d'empoisonnement, mais a bel et bien était abattu. Surtout, Hannibal est entré dans Rome avec ses éléphants de guerre, sonnant ainsi prématurément le glas de l'Empire romain. Dès lors le jeu des civilisations est totalement rebattu par rapport à celui que l'on connaît, les dominants ne cessant de se développer avec une vision bien à eux de l'Humanité.
Quand s'ouvre le roman de Romain LUCAZEAU, Orode a d'ores et déjà jeté son dévolu sur la cité d'Ecbatane au nord-ouest de la Mésopotamie, menaçant toute forme de résistance de son feu nucléaire. Et Zoroastre sait que cette menace n'est pas un vain mot dans l'univers ainsi considéré. Car l'Humanité est désormais réduite à néant. Hommes, femmes et enfants sont désormais soit de la chair à canon, soit de la chair tout court, les avancées médicales permettant de la modeler à volonté selon les perversités de qui détient le pouvoir. Les bordels-usines perses, où les innombrables troupes d'Orode peuvent laisser libre cours à leurs instincts les plus bas, en sont la parfaite illustration. Et les carthaginois ne sont pas en reste quand ils n'hésitent pas à transformer leurs enfants en véritables terminators, tout ce qui leur reste de conscience ne devant servir que d'arme.
Cette guerre nous est racontée par les yeux de huit protagonistes de premier plan. L'ensemble du récit prend la forme d'une épopée qui ne sera pas sans rappeler l'Iliade dans le ton, le narrateur externe se faisant factuel et éminemment descriptif. La forme du roman est donc d'une violence extrême, LUCAZEAU étant d'un pessimisme glaçant pour cette Humanité alternative. Mais il nous propose aussi une réflexion profonde sur le pouvoir, ou plus précisément sur la manière de le garder, sa thèse étant que la guerre en sera toujours la clé. En creux, Romain LUCAZEAU nous parle aussi de la nature humaine, de la domination de certains hommes sur tous les autres, ces derniers devenant soit victimes, soit complices par leur compromission.
Uchronique, martial, politique, philosophique, Vallée du carnage est tout cela à la fois. Il s'agit tout simplement d'un grand roman dont la noirceur abyssale n'empêchera certainement pas d'en reparler abondamment dans les jurys des prix à distribuer ces prochains mois.