Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale l'Italie est dirigée par la Démocratie chrétienne. Face à elle, le Parti communiste italien (PCI) s'est renforcé dans les années 1950 et 1960, régulièrement débordé sur sa gauche par un grand nombre d'organisations marxistes. La magistrature, largement dominée par le PCI, poursuit régulièrement les organisations de droite pour délit d'opinion et ferme en grande partie les yeux sur les activités de la gauche révolutionnaire. Parallèlement des groupuscules d'extrême droite tentent un sursaut et enchaînent eux aussi les actes de violence. On est en 1968, et ce sont les prémices des années de plomb italiennes.
Stefano Guerra est un fasciste convaincu. Il naît à la politique en mars de cette année-là, lors des affrontements de Valle Giulia, le campus universitaire de Rome, où étudiants et policiers d'une part se sont affrontés, mais où militants d'extrême gauche et d'extrême droite d'autre part ont voulu régler leurs comptes. Là, il commet l'irréparable en tuant accidentellement un autre jeune homme, Mauro. Pour Stefano c'est le point de départ d'une dérive de trois années dont, on le sait dès le départ, l'issue sera tragique.
C'est à l'histoire de Stefano qu'Alberto GARLINI se consacre dans Les noirs et les rouges. Du militantisme à la clandestinité, sa courte vie est marquée par la politique dans son expression la plus extrême. Pour autant le jeune homme n'a pas la violence aveugle, réfléchit aux implications de ses actes, et évite autant que possible de tuer sans discernement. Il tombe même amoureux d'Antonella, la soeur de Mauro, sa première victime, et la fille d'un célèbre intellectuel communiste. Auprès d'elle, qui ignore tout de son premier geste et de ses activités, sa sensibilité d'être humain s'exprime pleinement et lui permet de se rapprocher peu à peu de la rédemption. C'est dans les steppes argentines, et après bien des tragédies, qu'il atteint le bout de son chemin de vie.
Par les temps qui courent il serait de bon ton de considérer politiquement incorrecte la mise en scène d'un fasciste sous un angle favorable. Pour autant, et c'est le premier tour de force de GARLINI, en tentant d'expliquer le pourquoi d'une telle personnalité il finit bel et bien par nous la rendre sympathique en donnant du corps à un caractère tourmenté depuis l'enfance. Par ailleurs il reconstitue brillamment l'atmosphère délétère qui prévalait en Italie au début des années 1970, notamment la duplicité des politiques, policiers et autres magistrats qui, chacun à leur façon, trouvent toujours quelques profits à retirer d'une situation troublée par les actes désespérés des véritables convaincus. Ajoutons à cela une très belle prose, que d'aucuns qualifieraient de lyrique, et l'on comprend qu'on est ici en présence d'un grand roman qu'il serait dommage d'ignorer sous prétexte que son personnage principal est forcément un salaud, et uniquement cela.