Cela faisait un moment que la France n'avait plus entendu parler de Christopher MOORE, six années s'étant écoulées depuis la publication du deuxième tome de sa trilogie sur les vampires. Manque de succès de cette dernière et/ou disparition de la collection Interstices de Calmann-Lévy, seuls les professionnels de l'édition ont les éléments de réponse à cet état de fait. Quoi qu'il en soit, l'écrivain américain nous revient aujourd'hui chez un petit éditeur avec un roman une nouvelle fois (d)étonnant et, disons-le d'emblée, qui sera à marquer d'une pierre blanche dans sa bibliographie.
Sacré bleu part d'une hypothèse : le 29 juillet 1890 Vincent van Gogh ne s'est pas suicidé à Auvers-sur-Oise, mais a été assassiné. Quant à l'assassin le lecteur le connaît dès le démarrage du roman, il s'agit d'un mystérieux dealer de pigments, en particulier d'un bleu outremer, qui se fait appeler « L'Homme-aux-Couleurs ». La mort de Vincent van Gogh est retentissante dans le Paris artistique, dont le coeur se trouve à Montmartre et l'âme incarnée par Henri de Toulouse-Lautrec. Ce dernier entraîne son ami Lucien Lessard (l'un des seuls personnages imaginaires, mais néanmoins inspiré), boulanger de son état, mais peintre amateur lui-même, dans une enquête rétrospective qui fait traverser au lecteur une bonne part de la deuxième moitié du XIXème siècle, et notamment la période qui vit l'avènement de l'Impressionnisme. C'est ainsi que les personnages secondaires ont pour nom Renoir, Pissarro, Monet, Manet ou encore Gauguin.
Christopher MOORE signe alors une comédie noire (ou plutôt bleue) qui prend des airs de reconstitution historique d'un Paris pas si fantasmé que cela. Comme en témoigne sa Postface (« Tu n'as pas pu t'empêcher de flinguer l'art ! »), l'écrivain iconoclaste est un vrai passionné et s'est abondamment documenté pour faire vivre ses célèbres protagonistes. Il n'en demeure pas moins qu'il n'a rien perdu de son humour déjanté, lequel est parfaitement adapté à sa reconstitution trépidante. Au contraire il prend une toute autre dimension en étant mis au service d'une thématique qui finalement est celle de l'inspiration et de la façon dont la muse de la création génère les chefs-d'oeuvre comme la folie des hommes. MOORE trouve d'ailleurs le moyen de l'illustrer par quelques incursions dans d'autres espaces-temps, comme celle qui nous ramène à l'apparition de l'art pariétal, en plein Paléolithique supérieur.
En bref, Sacré bleu est un roman rythmé, drôle et d'une finesse à laquelle MOORE ne nous avait pas encore habitué. Il signe donc là l'un de ses meilleurs romans, si ce n'est le meilleur. On appréciera en plus le joli travail d'édition, et tout particulièrement le cahier en couleur en fin de volume reprenant une bonne trentaine de reproductions de peintures ayant inspiré autant de scènes du roman.