L'amateur de science fiction français connait certainement Robert Charles WILSON pour ses romans aujourd'hui tous traduits. Il le connait certainement moins en tant que nouvelliste, sa publication en recueil étant limitée jusque-là aux six nouvelles incluses dans Mysterium, qui avait néanmoins permis de dévoiler les qualités sur le format court d'un auteur majeur de la science fiction contemporaine. Le Bélial' corrige partiellement le tir avec Les Perséides, recueil de neuf nouvelles, pour la plupart totalement inédites.
Robert Charles WILSON nous y propose une science fiction mâtinée de fantastique, ou inversement, la frontière entre les genres étant toujours ténue chez l'écrivain canadien. Une autre caractéristique de l'auteur que l'on retrouve ici est à rechercher dans ses préoccupations humanistes, lesquelles prennent toujours l'ascendant sur les artifices spectaculaires de la littérature de genre. Cela se traduit par le développement d'intrigues dans un présent à peine futuriste, ou un passé tout au plus distordu ; il y fait évoluer des personnages d'antihéros, des personnages torturés par des préoccupations somme toute relativement simples. En d'autres termes, WILSON nous plonge dans un univers connu peuplé de personnages proche de tout un chacun.
A une exception près, l'univers mis en scène dans Les Perséides est celui de Toronto, où vit réellement l'auteur. Cela lui donne certainement une grande pertinence dans ses descriptions de la ville et de certains de ses quartiers. Un lieu, imaginaire celui-là, sert de fil rouge plus ou moins explicite à l'ensemble des textes ; il s'agit de la librairie d'occasion Finders, dans laquelle on trouvera tantôt des livres qui n'existent pas, tantôt des objets étranges, sans même parler des gérants successifs.
Bien qu'imparfait, Les Perséides est un recueil de haut niveau qui fourmille d'idées et impressionne sans en avoir l'air. Ceux qui connaissent les romans de Robert Charles WILSON n'en seront pas surpris, les autres ont l'occasion de découvrir à moindre coût la richesse de ses univers.
On a déjà eu l'occasion de parler de la nouvelle éponyme du recueil, alors voici une petite recension des huit autres textes.
Les Champs d'Abraham (The Fields of Abraham, 2000)
Au début du XXème siècle un jeune immigré et sa soeur schizophrène survivent tant bien que mal dans la ville de Toronto. Jacob trouve régulièrement refuge dans une librairie d'occasion gérée par un vieil homme hors du temps. Robert Charles WILSON développe alors une intrigue sombre et étrange tirant plus vers le fantastique que vers la science-fiction, un peu à la façon d'une incursion dans la quatrième dimension. Une très belle nouvelle fort réussie.
La Ville dans la ville (The Inner Inner City, 1997)
Un jeune étudiant lance un défi à son professeur et ses proches : créer une nouvelle religion. La femme du professeur se prend au jeu tandis que celui-ci se perd dans une mystérieuse ville au coeur de Toronto. Curieuse nouvelle que cette Ville dans la ville ; si son ambiance est plutôt réussie, notamment pour son côté « touristique », son intrigue est pour le moins obscure.
L'Observatrice (The Observer, 1998)
En 1953 une adolescente hantée par des visions extraterrestres fait la connaissance d'Edwin Hubble dans son observatoire californien. S'instaure entre eux une complicité quasi muette que Robert Charles WILSON retranscrit de la manière la plus humaniste qui soit. Une très belle nouvelle donc.
Protocoles d'usage (Protocols of Consumption, 1997)
Un dépressif rencontre l'horreur par le biais de son groupe de discussion. Comme quoi, même dans l'horreur pure et simple, WILSON sait être terriblement efficace.
Ulysse voit la lune par la fenêtre de sa chambre (Ulysses Sees the Moon in the Bedroom Window, 2000)
Un homme est invité chez un couple alors qu'il a des vues sur l'épouse. Comme Ulysse, le chat de la maison qui souhaite vainement sortir pour rejoindre ses congénères en chaleur, il en repartira frustré après une étrange démonstration. WILSON développe ici un fantastique aussi élégant que plaisant sur un sujet pourtant scabreux.
Le Miroir de Platon (Plato's Mirror, 1999)
Fantastique plus classique, cette nouvelle met en scène un écrivain qui se voit offrir par une admiratrice l'objet d'un de ces écrits, le Miroir de Platon. Par lui, qui se regarde, peut avoir diverses perceptions. C'est classique certes, mais impeccablement traité et sympathique.
Divisé par l'infini (Divided by Infinity, 1998)
Un retraité veuf et dépressif passe dans la librairie Finders où sa femme a travaillé. Il y découvre des livres de science-fiction qui ne devraient pas exister, et un autre qui pose l'immortalité comme un principe fondamental de la vie de tout être humain. Ce n'est ni plus ni moins qu'une nouvelle conception de l'humanité qui lui est proposée.
Bébé perle (Pearl Baby, 2000)
La librairie Finders toujours, cette fois-ci gérée par une femme vieillissante, ancienne hippie toujours adepte de la marijuana. Elle accouche tout simplement d'une créature extraterrestre qu'elle dissimule au reste du monde mais qui, en grandissant, ne peut plus cacher son intention. Bien que convenue, cette nouvelle est plutôt agréable à suivre ; hélas, son final tombe totalement à plat.
Les Perséides - Robert Charles WILSON (The Perseids ans Other Stories, 2000), traduction de Gilles GOULLET, illustration de MANCHU, Le Bélial', 2014, 320 pages