Pour son nouveau roman Robert HARRIS s’attelle à une reconstitution historique particulièrement intéressante pour le lectorat français. Il s'agit de l'affaire Dreyfus, qui empoisonna la vie politique et sociale française entre 1894 et 1906, et qui eut un impact à l'international, à court terme dans les relations franco-italiennes, à plus long terme dans l'émergence du mouvement sioniste. Comme il n'est probablement pas utile d'en rappeler les tenants et les aboutissants, rappelons simplement que l'affaire en question tourne autour de l’accusation de trahison faite au capitaine Alfred Dreyfus ; français d’origine alsacienne, alors même que sa région d'origine a été annexée par l'Allemagne depuis la défaite dans la guerre franco-prussienne de 1870, il est le bouc-émissaire parfait simplement du fait qu'il est de confession juive ; on en connaît également l'épilogue : Dreyfus sera innocenté après douze ans de procédures.
L'artisan de cette réhabilitation est Marie-Georges Picquart, et c'est autour de lui que Robert HARRIS construit son roman. D'abord comme lieutenant-colonel dans le service de renseignement militaire, il relève peu à peu des indices tendant à prouver que l'espion à la solde des allemands n'est pas Alfred Dreyfus mais un médiocre commandant d'infanterie. Militaire jusqu'au bout des ongles, Picquart en informe sa hiérarchie qui refusera de se désavouer, l'erreur étant difficilement admissible et la judéité de Dreyfus étant finalement bien commode ; en prime le lieutenant-colonel sera muté en Tunisie, où l'on tentera même de se débarrasser de lui, avant d'être accusé et emprisonné à son tour. Il sera finalement réhabilité le même jour que Dreyfus et nommé général de brigade dans la foulée, avant de participer au premier gouvernement de Georges Clemenceau en tant que ministre de la guerre.
Le coeur du roman d'HARRIS demeure toutefois le lent processus d'enquête mené par Picquart, ainsi que ses relations avec l'ensemble des protagonistes de l'affaire ; en cela le travail de reconstitution réalisé est tout simplement remarquable. Mais Robert HARRIS est aussi un formidable conteur et dote son récit d'éléments romanesques subtiles qui transforment D., du nom donné au dossier secret de l'affaire, en un véritable thriller. Il parvient même à mettre en place des éléments de suspense alors que l'histoire racontée est connue de tout un chacun. Pari audacieux s'il en est, mais pari en l'occurrence parfaitement réussi.