Fatherland est d'abord une uchronie. Elle part du postulat que l'Allemagne a gagné la Seconde Guerre mondiale, notamment grâce à un succès partiel de l'opération Barbarossa en 1943 (l'ouest du territoire soviétique est occupé) et à une capitulation de l'Angleterre en 1944. Vingt ans plus tard, l'Europe toute entière est sous la coupe du Reich et deux décennies de guerre froide viennent de s'écouler entre les Etats-Unis et l'Allemagne nazie. Au mois d'avril 1964, Joseph Kennedy (le père de JFK, connu pour sa modération vis-à-vis du nazisme), alors président des États-Unis, est prêt à rencontrer Adolf Hitler à la veille de son soixante-quinzième anniversaire. La nouvelle est de taille puisque cela préfigure peut-être la fin de cette guerre froide...
Fatherland est aussi un thriller. Car en ce même mois d'avril 1964, l'inspecteur de police Xavier March est chargé de résoudre une enquête sur deux meurtres d'anciens grands dignitaires nazis. Ce faisant il semble déranger beaucoup de monde, en particulier la Gestapo qui va chercher à l'écarter de l'enquête, quitte à employer les méthodes radicales qu'on lui prête traditionnellement ; même son ex-femme et son fils de onze ans sont mis à contribution pour le faire dénoncer comme « asocial », caractère passible d'un enfermement de quelques années en camp de concentration. Mais March est aussi opiniâtre, et poursuit son enquête avec le soutien d'une jeune journaliste américaine. Tous les deux découvrent finalement l'inimaginable, ce que le Reich est parvenu à faire oublier à ses sujets et au monde entier...
Thriller uchronique, Fatherland est finalement un grand roman. Haletant, glaçant, tragique, il est tout cela à la fois grâce à une prose raffinée et finement documentée. L'Histoire alternative n'empêche pas Robert HARRIS d'être respectueux des faits avérés et il caractérise parfaitement ses personnages. Ce faisant le drame dans lequel il les fait évoluer est crédible de bout en bout, marquant pour longtemps l'esprit du lecteur fasciné et horrifié.