Nous est un roman d'Evgueni ZAMIATINE dont l'histoire éditoriale est complexe. Publié en russe à Paris en 1920, il ne passe pas la barrière de la censure stalinienne dans son pays d'origine. Dès lors il se fera connaître par le biais de sa traduction anglaise, laquelle aura d'ailleurs une grande influence sur la littérature anglo-saxonne, notamment celles d'Aldous HUXLEY (Le Meilleur des mondes), de George ORWELL (1984) et d'Ira LEVIN (Un bonheur insoutenable). En France c'est Gallimard qui se charge de la traduction en 1929, mais à partir de la version traduite en anglais, et sous le titre « Nous autres ».
Ce n'est qu'en 1952 que le roman est finalement édité en URSS, quinze années après la mort en exil de son auteur. Et c'est à partir de cette version qu'Actes Sud alimente aujourd'hui sa collection Exofictions d'une nouvelle traduction que l'on peut donc considérer comme définitive et fidèle au texte original.
Alors qu'en est-il finalement ? Nous prend la forme d'un journal structuré en 40 notes qu'un homme nommé D-503 rédige quasi quotidiennement pour les civilisations extraterrestres. Car D-503 est le constructeur de l'Intégrale, un vaisseau spatial destiné à aller à la rencontre d'autres intelligences pour les convertir au « bienheureux joug de la raison » que l'Etat Unitaire a découvert. Le roman se projette en effet quelques six siècles dans le futur alors que le monde civilisé est strictement organisé sous l'autorité d'un « Bienfaiteur » ; hommes et femmes ne sont désormais que des numéros et vivent dans une immense cité de verre dans laquelle toute velléité individualiste est sévèrement réprimée, y compris dans les activités les plus intimes, notamment sexuelles. Au démarrage de son journal, D-503 se montre factuel et convaincu, mais ses certitudes vacillent quand l'amour entre en jeu...
Le résultat est le récit bref et rythmé d'une prise de conscience qui va bientôt générer un sentiment et des actes de révolte. Tout cela ne peut que mal se terminer, reste à savoir comment, ce qui constitue la finalité de l'intrigue. La première traduction du roman est généralement critiquée pour ses caractères daté et ampoulé ; force est de reconnaître qu'avec cette édition le texte semble bel et bien dépoussiéré et donne la sensation d'une étonnante modernité. Bien sûr les lecteurs habitués des dystopies auront une impression de déjà-lu, et devront faire une effort de contextualisation éditoriale pour en appréhender toute la force. Dans tous les cas c'est désormais haut et fort que ce Nous de ZAMIATINE peut être considéré comme précurseur dans un genre qui connaîtra bien des succès dans les décennies qui suivront son écriture.