Eux est une chronique sociale qui s'étend sur trente années, de la Dépression des années 1930 aux émeutes raciales de 1967. Elle se déroule dans les quartiers populaires de Detroit et elle est vue essentiellement par les yeux des femmes de la famille Wendall. Il y a d'abord Loretta, la mère, dont le premier amant a été assassiné par son propre frère alors qu'ils venaient de faire l'amour. Il y a ensuite Maureen, la fille aînée, écrasée par une cellule familiale sclérosée par la violence tant physique que psychologique de ses membres masculins. Mais si ce sont bel et bien « Eux » qui sont brutaux, parfois même sans s'en rendre compte, « Elles » sont aussi coupables de passivité face à des situations qui ne sont pas forcément inéluctables ; en d'autres termes, les événements marquants d'une vie ne sont pas qu'une question de destinée, ils sont aussi une affaire de choix. Maureen en fait la douloureuse expérience et a bien du mal à s'émanciper de l'éducation de sa mère.
Avec Eux Joyce Carol OATES s'inspire d'une rencontre qu'elle a faite au début des années 1960 alors qu'elle enseignait l'anglais à l'université de Detroit. Comme souvent, mais en 1969 c'était une des premières fois, elle en tire un roman dense d'une grande finesse psychologique. Si l'on y sent la profonde empathie qu'elle voue à ses personnages féminins, le lecteur ne la partage pas forcément mais ressent le caractère oppressant de l'atmosphère dans laquelle vit la famille Wendall ; en cela son roman est d'un réalisme brut, pour ne pas dire brutal.
Par ailleurs le contexte économique et social dépeint en toile de fond est typiquement américain, donc probablement assez éloigné des préoccupations du lecteur français moyen. Alors même si le roman est lauréat du National Book Award, l'une des distinctions littéraires les plus prestigieuses des États-Unis, en France ce contexte peut parfois sembler obscur, d'autant que la romancière ne s'embarrasse pas d'explications.
Mais ce n'est qu'un tout petit reproche au regard de la qualité de la prose de Joyce Carol OATES. Elle est une formidable conteuse, tout simplement incroyable dans sa capacité à sublimer la banalité de la vie humaine.